Comment dialoguer autour d’une vidéo complotiste ? (13)

Dans l’une de ses vidéo, Oussama Ammar affirme que la corruption est généralisée dans l’administration américaine, validant « les thèses des complotistes depuis 10 ans ». Que faire face à ce type de discours ?

Des postures pertinentes à partir d’une vidéo d’Oussama Ammar

L’objet à analyser

Le 21 février 2025, l’entrepreneur Oussama Ammar publie une vidéo sur sa chaine Youtube (154 000 abonnés), intitulée « Trump, Musk et la Corruption : Ce Qu’on Ne Vous Dit Pas ». La vidéo de 7 minutes dépeint la fonction prise par Elon Musk dans l’administration américaine (sous la législature Trump), pour tenir la thèse d’un état de corruption généralisé au sein de l’administration américaine. Le travail effectué par Musk serait la démonstration d’un état profondément injuste par rapport aux honnêtes travailleurs. Outre la construction du discours en tant que tel et les fake news propagées : quelle posture adopter par rapport à ce message ?

Photo d'Oussama Ammar

Question de posture

Comment dialoguer à partir de cette vidéo ?

La vidéo sélectionnée est intéressante dans la mesure où elle prétend dépeindre de façon très tranchée une thèse compatible avec une lecture complotiste du monde : l’administration américaine est corrompue à travers la banalisation du gaspillage de l’argent publique. Autant, la vidéo présente assez d’éléments qui peuvent être vérifier
(fact-checker les infos et démontrer ce qui est vrai et faux) autant l’enjeu ici est davantage d’utiliser cette vidéo pour identifier la posture à prendre en tant qu’enseignant·e, par exemple si un élève vient en classe avec cette vidéo. La vidéo à de quoi provoquer (ou maintenir) une rupture de confiance entre le citoyen et les pouvoirs publics. Le problème n’est donc peut-être pas dans la structure narrative d’une théorie du complot ni même dans sa déconstruction en tant quel (reconnaitre les formes rhétoriques…) mais dans l’effet qu’elle produit (rupture de confiance) ; d’où la question : comment manœuvrer ce type de contenu quand on est enseignant·e ? Partant de ce principe, qu’est-il le plus intéressant à faire ?

Image de Musk dans le bureau de Trump

Déroulement

Activité pédagogique

Cette activité a pour objectif de comprendre comment le dialogue peut se créer à partir cette vidéo. Cette dernière est finalement d’avantage une vidéo « prétexte » pour identifier une méthode de dialogue pour exemplifier les postures à avoir vis-à-vis d’un document complotiste.

Le point de départ de l’activité consiste à comprendre le sens global de la vidéo. L’enseignant peut commencer l’animation en demandant aux élèves s’ils connaissent :

  • Oussama Ammar : auteur de la vidéo – Entrepreneur Franco-libanais.
  • Elon Musk : milliardaire, entrepreneur américain et Haut Conseiller du de Donald Trump.
  • Donald Trump : 45e et 47e Président des États-Unis.

L’enseignant donne le contexte de la vidéo : lors de la deuxième législature de Donald Trump, Elon Musk est nommé à la tête d’un ministère de « l’Efficacité gouvernementale ». La vidéo présentée ici est une réaction d’Oussama Ammar suite au travail d’Elon Musk.

À partir de cette présentation, l’enseignant diffuse la vidéo en cadrant le fait que les élèves vont voir un document à prendre avec une lecture critique. Les élèves sont invités à prendre des notes durant la diffusion de la vidéo et après visionnage de fournir un texte de 3 lignes maximum qui résume la thèse de l’auteur. La consigne est donc : si vous deviez résumer le propos de la vidéo en trois lignes, que diriez-vous ?

Après avoir fait cela, l’enseignant peut demander à 3 ou 4 élèves de lire leur résumé et chercher un consensus avec la classe sur la thèse de la vidéo.

À partir de là l’enseignant se trouve face à une thèse, en principe, assez claire. L’enseignant demande aux élèves s’ils ont déjà vu circuler ce type de contenu ? Mais aussi, si les élèves se sont déjà retrouvés à dialoguer autour de ce type de contenu ? Est-ce facile, est-compliqué ?

La question qui se pose ici est : comment les gens dialoguent-ils sur les réseaux sociaux ? L’enseignant demande aux élèves d’écrire, selon eux, le type de commentaires que cela va générer sur les réseaux sociaux. Les élèves écrivent cela sur un post-it et l’enseignant classe ces post-it en quatre catégories :

  • La première catégorie : qui polarise le débat, qui va mettre de l’huile sur le feu et opposer les gens.
  • La deuxième catégorie : qui va dans le sens de la thèse défendue.
  • La troisième catégorie : qui permet le dialogue, qui permet de communiquer, ouvrir a minima le débat.
  • La quatrième catégorie : neutre, ne fait ni avancer le débat ni le pourri.

L’objectif de cette activité est d’identifier les arguments pertinents (dans le sens, qu’est-ce qui fait avancer le débat ou non). L’enseignant peut se référer aux différents conseils ci-dessous pour avoir quelques points de repères, particulièrement pour faire avancer le débat.

Une revue de la littérature, autour de la question : comment répondre à un complotiste ? montre assez rapidement des tendances claires. Voici 4 conseils appliqués à la vidéo de Oussama Ammar pour montrer comment ces postures se concrétisent face à ce message.

a. Chercher l’intérêt de la personne qui adhère au discours (complotiste) :

Par exemple souligner l’importance (ou non) du sujet pour la personne et gratter quelle valeur est en jeu. Dans le cadre de la vidéo analysée, ce qui est flagrant c’est la critique très radicale faite au service public. La vidéo a potentiellement pour effet de laisser un sentiment de corruption généralisée. Une personne intéressée par ce sujet (la gestion de l’argent public) pourrait être plus réceptive à cette vidéo. Il peut être intéressant de creuser si une expérience ou une valeur a été remise en cause dans le vécu de la personne. Le degré de curiosité sur le sujet peut également venir d’autres éléments : l’adhésion a priori au Président Trump et ses méthodes ou encore le soutien à Elon Musk dans ses actions politiques.

b. Ré-introduire un peu de hasard dans le discours

La vidéo présente ici une corruption systématisée au sein de l’administration. Rien n’est dû au hasard et tout semble fonctionner sur le leitmotiv de la corruption. Face à un discours aussi peu nuancé, il convient d’introduire dans la conversation un peu de nuance ou de hasard dans le propos. Par exemple, « les médias achetés, les ONG corrompus etc » c’est plus complexe que ça. Déjà par ce qu’il est difficile de prendre pour vrai toutes les affirmations qui sont tenues ici : par exemple le systématisme des paiements faits par l’administration. Ou encore : « des milliards, des milliards de paiements sont faits avec des cases vides ». Là aussi, il convient de remettre un peu de proportionnalité et sûrement de précision dans le discours.

c. Insister sur les points communs dans la lecture du monde

Il peut être intéressant d’identifier ce qui peut être partagé et ce qui ne peut pas l’être ou du moins, identifier les zones que l’on ne souhaite pas camper de par notre vision du monde. Ici on peut imaginer adhérer, dans une certaine proportion, au fait qu’un état n’est pas un bon gestionnaire du trésor public. Mais le contenu de la vidéo entraine une lecture radicale de la chose sur laquelle on peut mettre des nuances (cfr plus haut). Autant on peut être critique sur la question de la gestion publique mais ici l’intention consiste à valoriser un pays sans état, de facto, incapable de gérer l’argent public. Il vaut mieux insister sur des lectures communes/partagées, voir des valeurs que cela suppose, que sur ce qui nous différencie : potentiellement ici une lecture radicale d’une société sans état. C’est également l’opportunité pour l’un et l’autre discutant d’identifier ce qui n’est pas négociable dans son système de valeur : « par exemple, je refuse de penser une société sans un état qui gère un minimum les finances » ou même « nous sommes d’accords sur l’incompétence de l’état à gérer tel ou tel dossier ». Mais ces éléments doivent être claires et si possible assez précis pour ne pas tomber dans trop de généralisations qui risquent la simplification des choses.

d. Évaluer la capacité de la personne à entendre un contre-discours

La personne en face de vous est-elle capable d’entendre un contre-discours ? Quel est le degré d’ouverture de la personne face à d’autres lectures du document ? Par exemple si une personne est dans une lecture très critique du document, notamment sur sa dimension caricaturale, qu’est-ce qui la personne en face est prête à entendre ?

  • En termes de sources : est-elle prête à chercher et vérifier les informations ou ne fut-ce qu’une information ?
  • En termes de vision du monde portée par la vidéo : des lectures plus positives sont-elles envisageables ? Ou pas du tout ?
  • En termes de valeurs : la personne qui adhère au message, dissimule-t-elle d’autres valeurs via ce discours (société dérégulée, intolérance, racisme, masculinisme, transphobie…) ? Pourquoi cette personne soutient-elle cette position ? Les valeurs soutenues sont-elles acceptables et pour qui ?
  • En termes critique : quelle place est laissée à une lecture critique du Youtuber en question ? La personne en face de vous peut-elle entendre un discours critique ou ne veut-elle rien entendre ?

Il s’agit donc ici d’analyse la flexibilité mentale de la personne en face, ses raisons d’adhérer au message et comment ce message s’inscrit ou non dans une thématique importante à ses yeux et pourquoi ? Il s’agit donc de travailler sur une posture d’écoute, de compréhension, ce qui situe bien loin la question de la lutte contre le complotisme mais plutôt dans une dynamique qui maintient le dialogue.

e. Conclusion : dialoguer ou non et à quelles conditions veut-on le faire ?

La question de savoir s’il faut dialoguer ou non avec quelqu’un qui argumente dans une logique complotiste est probablement à évaluer au cas par cas. La conversation est-elle porteuse de quelque chose ou non ? C’est probablement équipé d’un logiciel empathique qu’on peut définir si cela vaut la peine ou non. Ici la piste proposée est de s’essayer à cet exercice d’identifier sur quelles valeurs on ne veut pas négocier et avec quel degré d’ouverture réciproque on veut dialoguer.

N’oubliez pas de proposer une synthèse de votre débat ; celle-ci peut prendre de nombreuses formes : une liste de conseils, un nuage de mots, une carte mentale, etc. Le plus important est de trouver un moyen qui permette aux étudiants d’avoir une trace de leurs conclusions.

Les élèves peuvent également tenter de comprendre à quel dessein sert ce type de propos :

  • Est-ce que cette vidéo peut être réutilisée pour soutenir l’administration Trump ? Dans quel contexte de diffusion (sur quelle page, sur quel réseau social) pour favoriser cela ?
  • Est-ce que ce propos ne sert-il pas plus largement à décrédibiliser tout forme d’état ? Au profil d’un état ultra-libéral et totalement dérégulé ?

Médiathèque

Supports pour l’activité

Vidéo source

de Oussama Ammar

La vidéo diffusée sur sa chaine Youtube est intitulée « Trump, Musk et la Corruption : Ce Qu’On Ne Vous Dit Pas« . Sa chaine compte 159k abonnés. La vidéo a fait 70 048 vues jusqu’aujourd’hui (26/06/2025). Elle a été publiée le 21 févr. 2025.

Nous l’avons archivée et hébergée sur Vimeo et elle est téléchargeable gratuitement.

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